~ L'enfant volé, Ian McEwan
Stephen vit un calvaire, un des cauchemars de tout parent : sa fille unique de trois ans a disparu deux ans plus tôt alors qu'il faisait des courses avec elle dans un supermarché. Le couple n'a pas résisté à l'épreuve, chacun s'est enfoncé différemment dans son chagrin et éloigné de l'autre...
Tout était réuni pour que j'apprécie ce livre : la même plume délicieusement ciselée que dans Sur la plage de Chesil, la même finesse d'analyse, la même justesse des sentiments... Mais trop de considérations lentes sur l'environnement professionnel de Stephen m'ont ennuyée, noyée. Pas envie de me prendre la tête en ce moment, je l'abandonne... momentanément, car j'ai découvert qu'on pouvait aimer tardivement un livre et que ça valait parfois la peine de s'accrocher...
L'enfant volé, Ian McEwan, Gallimard, Folio, juin 1995, 410 p.
Un exemple du style parfait de Ian McEwan et de la subtilité du propos :
"(...) Stephen et Julie s'accrochaient l'un à l'autre, échangeant, à demi hébétés, des questions purement rhétoriques durant leurs longues nuits blanches, élaborant des théories, pleins d'espoir une minute, de désespoir la suivante. Mais tout cela avait cessé lorsque le temps, cette impitoyable accumulation de jours, eut clarifié l'amère vérité, et l'absolu de cette vérité. Les silences commencèrent à s'amonceler, de plus en plus profonds. Les vêtements et les jouets de Kate traînaient encore un peu partout dans l'appartement, son lit était resté défait. Puis, un après-midi, le fouillis disparut. Stephen trouva le lit dénudé et trois sacs en plastique pleins à craquer près de la porte de la chambre. Il fut saisi de colère contre Julie, dégoûté par ce qu'il interprétait comme un désir d'auto-destruction bien féminin, un défaitisme délibéré. Mais il ne pouvait pas lui en parler. Il n'y avait pas de place pour la colère, pas d'ouverture. Ils se mouvaient comme des silhouettes dans un bourbier sans avoir la force de se confronter. Tout à coup leurs douleurs s'étaient dissociées, insulaires, incommunicables. Ils suivaient chacun leur chemin, lui avec ses listes et ses déambulations quotidiennes, elle, assise dans son fauteuil, absorbée dans la spirale d'un chagrin profond, intime. Il n'y avait plus de réconfort mutuel à présent, plus de contact physique, il n'y avait plus d'amour. Leur longue intimité, leur habitude de se considérer comme alliés, tout cela était mort. Chacun demeurait recroquevillé sur sa propre perte, et de tacites ressentiments commencèrent à naître." (p. 45-46)