Pépite d'émotion !
Après une parenthèse rigolarde avec le réjouissant Robin des Bois, je retrouve Manu Larcenet dans un autre registre. Place au deuxième tome de la série Le Combat Ordinaire, et gloups : la marche est haute côté émotions !
Cet album, bien sombre, a de quoi bouleverser. Beaucoup de sujets graves ici, voire tragiques : toujours la dépression et son lot d'angoisses invalidantes, de doutes sur soi et sur son travail, mais aussi la maladie d'Alzheimer, la peur de la mort, l'engouement ouvrier pour le FN face à un avenir industriel menaçant...
Les retrouvailles entre Marco et Georges, frangins complices, ouvrent quelques oasis de détente bienvenues, même si les deux frérots n'arrivent pas toujours à se requinquer mutuellement. La jolie petite nièce égaye la famille et apporte l'espoir de jours meilleurs - d'autant qu'elle va certainement susciter des envies de paternité/maternité...
Une question intéressante en prime : le hiatus possible entre les idées d'un artiste et la qualité de son oeuvre.
Un album vraiment intense et brillant, qui fait réfléchir, frissonner d'émotion - pleurer, même… Manu Larcenet a décidément un talent extraordinaire et une belle sensibilité !
Le combat ordinaire, tome 2 : Les quantités négligeables - Manu Larcenet, Dargaud, mai 2004, 66 p.
Extraits :
" On a tous des manières différentes de réagir au deuil, à la douleur, au manque. Certains parlent, argumentent, échafaudent des théories, longuement, comme pour combler le vide... D'autres, au contraire, se taisent avec l'application de l'enfant concentré sur un problème mathématique. Pour ma part, les peines intenses m'anesthésient. Que je parle ou que je garde le silence, je suis alors vide. Le subit anéantissement de mes émotions semble être mon système personnel de protection. Je suis alors capable de continuer. Une part de moi s'occupe des autres, des relations sociales, de l'intendance, en somme... tandis que l'autre habite mon lopin d'enfer soigneusement privé, à l'abri des regards. " (p. 20)
" J'ai passé toute mon enfance à redouter la mort de mes parents... Depuis le fameux "on meurt tous un jour", asséné sans plus de précaution par un oncle quelconque, c'était devenu une obsession. Ma mère s'attardait au Leclerc ? Accident de voiture ! Mon père rentrait tard du chantier ? Accident du travail ! J'ai eu le temps de m'y habituer, à leur mort... Aujourd'hui que "ça" approche à pas de géant, je comprends mieux ce que je ne faisais qu'entrevoir... Je comprends que leur mort ne sera pas la mienne. Ca n'enlèvera évidemment rien à l'inévitable horreur de la chose, mais je ne me tromperai pas de deuil... C'est bien là la moindre des choses que je leur doive. " (p. 33)