~ Cannibale, Didier Daeninckx
Paris, 1931, exposition coloniale au Bois de Vincennes. Que peuvent y admirer les badauds ? Des animaux exotiques, oui... mais aussi des étrangers originaires des colonies françaises, à qui l'on demande d'être pittoresques, spectaculaires. Au milieu des éléphants, crocodiles, otaries, un groupe de canaques. Devant leur enclos, la mention "anthropophages". Ils sont tenus de se dénuder, danser, évider des troncs d'arbre, grogner en montrant les dents comme d'authentiques cannibales, pour entretenir la légende du "sauvage", l'image de la supériorité du "bon blanc civilisé"... Qui se souvient alors qu'une quinzaine d'années plus tôt, ils étaient dans les tranchées, combattants pour "la Patrie" ?
J'ai eu l'idée de re-découvrir ce court et brillant ouvrage car il est dans la liste des lectures recommandées en 3ème. Un peu contraint et rétif au départ, Junior s'est finalement rapidement intéressé à ce récit, s'indignant bien sûr de cette partie honteuse de l'Histoire de France qu'il ignorait.
Un témoignage saisissant, révoltant, important, sur le 'racisme', l'esprit colonialiste et le respect de la dignité humaine.
PS : Pour motiver vos ados, annoncez-leur qu'il y a de l'action !
Extrait : " (...) nous sommes restés dans le froid, sans vêtements, avec juste un bout de manou autour des hanches. On nous a mis derrière des grilles, comme des bêtes sauvages, entre la fosse aux lions et le marigot des crocodiles... Tout le monde nous présente comme des cannibales, les enfants nous jettent des cacahuètes, on prétend que nous vivons avec plusieurs femmes alors que nous sommes tous de fervents catholiques... (...) nos compagnes étaient obligées d'exhiber leurs seins, alors que chez nous elles gardent leur robe missionnaire même pour se baigner dans la mer. Les gardiens nous frappent si nous oublions de pousser des cris d'animaux féroces devant les visiteurs ! Ce qu'on nous donne à manger, nos chiens s'en détournent... " (p. 83-84)
= - < 2 h
Cannibale, Didier Daeninckx, Gallimard, Folio, février 2000, 107 p.
J'apprends en cherchant des images qu'on retrouve le narrateur Gocéné dans Le retour d'Ataï - suite à découvrir d'urgence, donc. De cet auteur, dans un autre registre, Mr et moi avions beaucoup aimé Itinéraire d'un salaud ordinaire (parcours d'un fonctionnaire de police "zélé", entre l'occupation allemande et l'arrivée de F. Mitterrand au pouvoir). Galadio est dans ma PAL. Camarades de classe nous avait en revanche déçus.
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Rappelons que l'arrière-grand-père du footballeur Christian Karembeu fut exhibé de la même façon :
"Malgré ses nombreuses sélections en Équipe de France, Christian Karembeu a toujours refusé de chanter "La Marseillaise", face aux propos de J-M Le Pen qualifiant l'équipe de France comme une équipe trop noire… Christian raconte le 23 février 2011 dans l'émission "C'est à vous" de France 5, qu'il chantait, enfant, la Marseillaise, et que les propos de Jean-Marie Le Pen l'ont renvoyé face à ses origines au point de refuser de chanter son hymne national. Mais aussi en référence au passé colonial de la France dans sa région, la Nouvelle-Calédonie. Son arrière-grand-père paternel faisait notamment partie des Kanaks exhibés au Jardin d'acclimatation lors de l'Exposition coloniale de 1931." (Wikipedia)
(un clic pour agrandir)
Il me semble qu'il y a eu une polémique dans un zoo-safari voisin, projetant d'installer un "village africain" à côté des girafes, éléphants, etc. Le concept a été trouvé, disons... "limite" pour la dignité humaine, eu égard à ces événements du passé, notamment. Projet abandonné, donc. Faute de confirmation sur le net, je ne peux pas en dire davantage...
PS : ... mais Laurence (visiteuse pas blogueuse aux idées précieuses !) nous dit tout en comm. L'idée est en fait allée au-delà du simple projet. Pour en savoir plus, y a qu'à cliquer sur les commentaires, mais aussi aller voir ce lien... Merci Laurence pour toutes ces infos !