~ Du domaine des Murmures, Carole Martinez
Quelle intuition ! Me voilà en pleine actu, je viens de lire LE livre qui a obtenu le Goncourt des Lycéens lundi (il faut dire que, tricheuse , je découvre en même temps Retour à Killybegs... "classé" 2ème, hélas - ça s'est joué à une voix).
Je m'étais passablement ennuyée au village, sur la route et surtout dans la caverne du Coeur cousu, au milieu de toutes ces filles/femmes improbables et agaçantes. J'avais quand même admis que cet ouvrage était beau, mais trop lyrique et long pour moi. Nulle envie, donc, de découvrir ce nouveau roman... jusqu'à ce que je sois témoin de visu de l'enthousiasme contagieux de l'auteur. Si vous l'entendez, vous ne pouvez que vous y arrêter, l'écouter, la suivre dans le récit de la genèse de cette histoire, de ce décor qu'elle a préalablement posé, bâti, autour de son intrigue.
Esclarmonde est une jeune fille "rebelle" du XIIe siècle qui refuse le mariage pour se consacrer à Dieu, en vivant emmurée, entrouverte au monde par une seule fenestrelle à barreaux. Sa voix traverse les siècles pour nous conter sa vie de recluse...
Oui c'est lyrique, oui c'est mystique, mais j'ai quand même été rapidement happée par cet environnement médiéval, immergée dans ce qu'il a de plus barbare et de plus sacré - ces extrêmes au nom de la religion mais aussi (surtout ?) pour assouvir les soifs masculines (de sang, de sexe, de pouvoir), à peine réfrénées par la peur de l'Enfer.
Comme dit Carole Matinez, interrogée sur la place des femmes au Moyen-Age, "elles ont su trouver des portes pour accéder au pouvoir mais celles-ci se refermaient vite". C'est bien le cas d'Esclarmonde qui parvient à régir son petit univers, toute emmurée qu'elle soit...
C'est beau, dépaysant, on se voit déambuler dans les châteaux forts (Murol en Auvergne, et Guédelon 'le faux'), on se souvient des Piliers de la Terre (Ken Follett) ou de Je, François Villon (Jean Teulé) mais en prime ici la langue est délicieuse, presque d'époque mais compréhensible malgré tout, évocatrice, sensuelle (odorat, goût, vue - j'en passe ! - sont éveillés... )... Beaucoup de métaphores, de symboles magnifiques. On peut aussi revisiter ses propres élucubrations mystiques pour peu qu'on se soit ennuyé le dimanche à l'église à un âge où l'imagination est fertile... Bref, c'est superbe. Mais, comme décidément, un petit quelque chose me gêne à chaque fois chez cette auteur : je déplore un peu de lenteurs, de longueurs - ici ce furent les aventures des Croisés, et la fin, interminable.
A lire et relire pour savourer la plume.
15/20 - 31/10 au 09/11 (rythme de lecture proche du néant , malgré un appétit féroce)
Extraits :
"Chaque soir, en quelques enjambées, [Bérengère] gagnait la forêt pour y rejoindre son galant qui, à force de caresses, lui avait poli les raideurs. A la nuit, les cris d'amour de cette femme se répandaient dans les bois, se mêlant en automne aux brames de langueur des cerfs et parfois même aux hurlements des loups. Vers la fin du printemps, les amants changeaient de couche. Ils s'allongeaient sur les berges de la Loue et, tout l'été, la jeune géante y gémissait dans le murmure des eaux, si bien que femme et rivière semblaient jouir à l'unisson, étendues côte à côte sous la nue, et que les mauvaises langues commençaient d'accuser ce couple d'ogres d'ensemencer la nuit. Oui, selon Ivette, le foutre de cet affreux bonhomme engrossait la Loue et bientôt ses eaux vertes grouilleraient de monstres !" (p. 119-120)
"Elle se moquait de la légèreté de ce sexe, dit fort, qu'un seul de ses regards suffisait à soulever, et elle riait de tant de vanité." (p. 120)
"Après son départ, je n'ai plus eu la force d'accueillir les pèlerins ni même de prier pour eux. L'univers était déchiré et mon ventre de pierre, vide et froid. L'été qui régnait de l'autre côté des barreaux n'y changeait rien. La douleur est une saison en soi." (p. 159)
"La nuit venue, la terre n'appartenait plus ni à Dieu ni aux hommes. A la nuit, les cauchemars s'incarnaient et rôdaient autour des endormis. Des amulettes, des prières, de vieux rituels protégeaient les maisons d'une foule de créatures terribles qui s'emparaient alors des bois. On priait pour ne pas être dévoré par les loups-garous, attrapé par des mains invisible et traîné en des grottes souterraines, pour que les monstres, les lutins, les démons n'emportassent pas les nourrissons, pour que la mort ne vînt pas hurler sur notre toit." (p. 181)
"Pourtant mon esprit ne pouvait se résoudre à renier Dieu, nous vivions en un temps où il animait chaque créature, où Il vibrait dans la moindre brindille, nous agissions sous Son oeil. Je ne pouvais douter que des hommes, de ma foi et de moi-même, pas de Son existence." (p. 186)
Quelques lectures intéressantes voire captivantes : Le Moyen-Age expliqué aux enfants (pour ados), Pour en finir avec le Moyen-Age de Régine Pernoud, Les piliers de la terre de Ken Follett, Je, François Villon de Jean Teulé, La vie des femmes au Moyen-Age de Sophie Cassagnes-Brouquet, les intrigues médiévales de Serge Brussolo...
Challenge 3% de la Rentrée Littéraire 2011 chez Herisson - 19/21
(comptage officiel de Herisson : 4 BD, 1 roman jeunesse, 14 romans dont 1 abandon, donc 13/14)