~ Faire le Mur, Maximilien Le Roy et Simone Bitton
Je lis à doses homéopathiques depuis quelques jours Chroniques de Jérusalem de Guy Delisle, et j'avoue qu'il me manque pas mal de pré-requis pour tout saisir et apprécier pleinement. Cet album-ci m'a un peu éclairée. Il s'agit du témoignage de Mahmoud Abu Srour - Palestinien dans un camp - recueilli par l'auteur. C'est forcément partisan, puisqu'on adopte à la lecture le point de vue de cet homme, mais suffisamment mesuré, réfléchi, sensé et argumenté pour être pris au sérieux.
Je ne parlerai pas du propos, les citations ci-dessous sont explicites. En revanche, je peux dire que j'ai trouvé le support superbe. De jolis dessins réalistes, où l'on voit parfois le grain du papier, illustrent artistiquement le texte et rendent l'ensemble encore plus émouvant et convaincant. En postface, des photos de Mahmoud, et un entretien de l'auteur avec Alain Gresh, journaliste spécialiste du Proche-Orient, complètent parfaitement ce témoignage-documentaire enrichissant.
+ = 16/20 - 04/12
L'avis de Mr :
L'auteur nous fait partager l'histoire, le quotidien et les réflexions de Mahmoud, vendeur dans une épicerie familiale, dans le camp d'Aïda. La vie du jeune homme est inéluctablement imprégnée du conflit israélo-palestinien, et de la politique coloniale israélienne que la BD dénonce. Dans un entretien en postface avec le journaliste Alain Gresh, l'auteur nous fait part de son propre point de vue sur la nature des actes de résistance palestiniens, qu'il refuse de caricaturer sous le vocable réducteur de terrorisme, en les re-situant dans leur contexte historique et géopolitique. L'ensemble constitue un ouvrage très intéressant sur le sujet, qui n'est pas sans rappeler les propos de Sorj Chalandon sur le "problème" irlandais.
Faire le Mur, Maximilien Le Roy et Simone Bitton, Casterman, 24 mars 2010, 103 p.
Extraits :
Arrêtez-moi si je me trompe : étaient-ce des barbus qui conduisaient les trains vers les camps de la mort ?
Aussi répugnant soit ce qui est arrivé aux Juifs d'Europe, pourquoi les Palestiniens auraient-ils à en payer le prix ?
Invoquer la Shoah pour légitimer notre spoliation n'est pas défendable, pas plus que de revenir 2 000 ans en arrière pour retracer des frontières contemporaines.
Pour autant, une injustice ne doit pas en entraîner une autre : il est inconcevable de renvoyer les Israéliens.
Pour gagner ma vie et aider ma famille, j'ai travaillé six années en Israël, de quatorze à vingt ans.
Rencontrer de nombreux Israéliens de mon âge m'a permis de briser la logique de séparation instaurée sur cette terre.
(p. 60)
Constater qu'il y a des victimes est un fait. Se complaire dans le sentiment victimaire est une faute.
Je ne veux d'aucune pitié. Pleurer empêche de se lever, et geindre de se battre.
Qu'on ne sacralise jamais la victime en tant que telle. Qu'on garde à l'esprit que l'opprimé d'hier peut devenir l'oppresseur de demain, et inversement. Je ne veux pas de la charité car elle est un rapport inégalitaire. La justice, en revanche, est un langage commun.
(p. 67)
D'autres extraits là, sur Babelio.