~ Un caprice de Bonaparte, Stefan Zweig
Grasset, Les Cahiers Rouges
novembre 1993, 205 p.
♥♥♥♥♥
Le pouvoir permet tout.
De faire ramper des hommes (contraints, bêtement dociles, ou véritablement éblouis par le dominant).
De prendre leurs femmes, de gré ou de force.
Et de jeter les indésirables sans autre forme de procès.
L'être humain ne s'est pas affranchi de cette loi animale au cours de son "évolution". Stefan Zweig le montre via ce récit d'une conquête féminine de Bonaparte lorsqu'il était général des armées.
Avec sa plume élégante, sobre et précise, l'auteur exprime brillamment la domination, l'abus de pouvoir, la douleur d'un homme trahi et abandonné, la soumission, la révolte, la lâcheté - ou l'instinct de survie - des témoins et des proches... Autant de références au nazisme dont Zweig fut victime.
Une partie du propos rappelle le roman 'Le Montespan' - histoire d'un homme trompé, bafoué, humilié par un puissant. Mais on est très loin, ici, des excès spectaculaires de son auteur, Jean Teulé.
Les textes de Zweig sont mesurés et percutants - style parfait d'un très grand écrivain.
11 janvier - emprunt mdtk
EXTRAITS :
• - (...) c'est le curé qui nous l'a racontée quand nous étions enfants, cette histoire de la Bible, l'histoire de l'homme riche qui a 1 000 ou 10 000 brebis, alors que son voisin, le pauvre, n'a qu'un agneau, un seul. Mais ce n'est pas le pauvre qui jalouse l'autre, c'est le riche qui s'empare encore de l'agneau du pauvre, de son seul bien... Et dis, sais-tu comment se termine l'histoire de la Bible ? Que dit le bon Dieu devant cette injustice, lui qui soi-disant est là pour juger et pour punir ?... Et les autres, que font-ils, les autres, les camarades, les voisins, les amis. Hein ?
- Laisse donc ces histoires de la Bible...
- Rien, je te dis, le bon Dieu ne dit rien et ne fait rien à l'homme riche... Pas plus alors qu'aujourd'hui. Il se tait, regarde et brûle de l'encens dans sa pipe. Peut-être même trouve-t-il du plaisir à ce spectacle. Personne ne vient en aide au pauvre diable, personne, et lorsqu'il crie, Dieu se bouche les oreilles. Et les amis... sais-tu ce qu'ils disent : "Contiens-toi, Fourès, contiens-toi."
(p. 96-97)
• La rue appartient au peuple, n'est-il pas vrai, citoyens ? (...) Cet homme [Bonaparte] nous a tout pris : nos députés il les a dispersés à la baïonnette, nos tribunaux du peuple il les a suspendus ! Seule la rue nous reste encore pour y parler librement. Et puisque nous ne pouvons obtenir justice, que les juges et les avocats sont vendus, il ne nous reste plus que la rue pour la réclamer ! Si nous avons envoyé au diable les aristos était-ce pour qu'à leur place ce soient les généraux qui viennent nous botter le cul ?
(p. 158-159)