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Canel
18 décembre 2015

La lecture en prison

La lecture en prison serait une image d'Epinal ?
Contrairement à ce qu'on peut imaginer, il n'est "Pas facile de lire en prison : voilà pourquoi" (article de l'Obs, publié le 11/05/2014).

évasion dalton

*  *  *

Insuffisance de l'offre, méfiance des surveillants, cellules sombres et bondées : s'évader par la lecture est aussi difficile que s'évader tout court.

Dans le « Bulletin des bibliothèques françaises », en septembre 2002, on pouvait lire : « Lire en prison est un fait de tous les temps. Éduquer, rééduquer, apprendre, s’informer, comprendre, se distraire, s’évader par l’esprit, il y a des livres pour toutes les situations ». La formulation est un peu naïve, mais elle exprime un fantasme répandu : la prison, c’est l’endroit où le prisonnier a l’occasion de méditer, de se refaire une éducation, de se rassembler.

journal de taule

Christophe de La Condamine, auteur d’un Journal de Taule (L’Harmattan), explique qu’il y dévorait jusqu’au moindre dictionnaire. Et on a tous en mémoire le parcours de Bernard Stiegler, le philosophe qui a appris la philosophie alors qu’il purgeait une peine pour braquage.

« Lire est un droit des personnes détenues », rappelle Olwen Lesourd, président de l’association « Lire c’est Vivre », qui tente de faire lire les taulards de Fleury-Mérogis. Mais le rapport 2013 du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, publié en mars dernier, est inquiétant. Eclairage insuffisant, offre inadaptée, manque de pratiques culturelles : pas si facile de lire en prison. Ce constat, Jean-Louis Fabiani l’avait déjà éprouvé dans son ouvrage de 1995 Lire en prison : une étude sociologique« Je n’ai pas l’impression que la situation a beaucoup changé aujourd’hui », estime-t-il.

Le sujet n’est pas nouveau. Le 25 Janvier 1986 les ministères de la Justice et de la Culture signaient un protocole visant à offrir aux détenus des prestations culturelles de qualité. L’accord insistait sur la lecture et les bibliothèques. La loi, elle aussi, garantit l’accès à la lecture en milieu carcéral. Article D441-2 du Code de procédure pénale : « Chaque établissement possède une bibliothèque dont les ouvrages sont mis gratuitement à la disposition des détenus. »

« Des bibliothèques, c’est un grand mot. »

Jean-Louis Fabiani annonce la couleur : « Des bibliothèques, c’est un grand mot. » Aucun critère n’existe. « Les textes sont très généraux et souvent non contraignants, explique Marie Cretenot, de l’Observatoire International des Prisons (OIP). Avant tout parce que les établissements, et donc leurs bibliothèques, sont très disparates. Uniformiser est difficile. » L’espace disponible, par exemple, varie énormément. « Le seuil de 80 m² n’est qu’une recommandation. En 2007, la surface moyenne d’une bibliothèque carcérale était de 43 m², avec parfois la multiplication de plusieurs petites structures dans différentes ailes », poursuit-elle.

prison pauvre

Les dotations en ouvrages sont également très diverses. Certaines prisons se basent en grande partie sur les dons de librairies ou d’organisations caritatives. Résultat : l’offre est parfois extrêmement étroite. Les détenus en sont réduits à commander certains ouvrages ou à les acheter à la cantine (le magasin de la prison). Or, comme l’explique Marie Cretenot: « Nous parlons d’une population qui a perdu ses minimas sociaux. Et la vie en détention coûte à peu près 200 euros par mois pour vivre décemment. » Acheter des livres ou des journaux n’est donc souvent pas la priorité. Les recevoir de la part de proches alors ? « Ils ne peuvent pas être envoyés par colis », signale-t-elleLe passage au parloir est obligatoire, avec autorisation préalable et contrôle a priori.

le guide du prisonnier

L’administration se réserve le droit de retenir un ouvrage en cas de menaces « graves contre la sécurité des personnes ou celles des établissements pénitentiaires » ou de « propos ou signes injurieux ou diffamatoires à l’encontre des agents et collaborateurs du service public pénitentiaire ainsi que des personnes détenues ». Selon Le Guide du Prisonnier édité par l’OIP, ces notions peuvent « être interprétées très largement ». Marie Cretenot se souvient d’avoir vu retenu le journal « l’Envolée », résolument anti-carcéral. Les recours sont possibles, mais prennent des années.

La gestion de la bibliothèque est tout aussi problématique. Elle appartient, comme l’acquisition de publications, au service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP). Dans les faits, aucun personnel n’assure spécifiquement le poste de bibliothécaire. L’organisation courante est donc souvent confiée à un détenu. Il doit être formé par un bénévole. Catherine, une de ces bénévoles, estime que « sans bonne volonté venue de l’extérieur, il n’y a aucune action culturelle à l’intérieur. » Elle raconte un travail souvent difficile : « Il faut se battre pour tout. Personne n’oblige le détenu bibliothécaire à faire son boulot. Du coup, parfois, rien n’est fait. Les livres ne sont pas classés, les registres ne sont jamais mis à jour… Il n’y a aucune structure. »

Le budget d’acquisition est loin d’être uniforme. Les associations socio-culturelles ou les municipalités sont bien souvent obligées d’assumer une grande partie voire la totalité des coûts. Dans Le Guide du Prisonnier, un détenu bibliothécaire de Champagne-Ardenne raconte : « Si l’administration a mis à ma disposition une salle et quelques meubles, elle n’a aucun moyen financier pour acheter des livres. Je suis donc contraint d’écrire à droite à gauche, à mes frais, pour solliciter des dons de livres et acheter du matériel (…) Je fais avec les moyens du bord. »

Et que dire de l’accessibilité ? Le Code de procédure pénale signale que la localisation doit « permettre un accès direct et régulier des détenus à l’ensemble des documents ». Ce n’est pas effectif dans presque un établissement sur trois, selon une étude de la Direction de l’administration pénitentiaire datant de 2007. Christophe de la Condamine, qui a été bibliothécaire pendant sa détention, se souvient que « la plupart des détenus ne pouvaient venir qu’une fois par semaine ».

illettrisme« Parfois on donne au détenu une liste qui indique ce qu’il est possible d’emprunter. Hors celle-ci, la commande est soumise à autorisation », explique Marie Cretenot. Les détenus doivent alors choisir parmi une enfilade de titres et de noms d’auteurs, qui n’évoquent souvent rien à personne. Impossible de feuilleter les ouvrages, de parcourir la quatrième de couverture… Ce système de liste défavorise aussi les nombreux prisonniers illettrés, qui doivent être assistés. Enfin, les détenus placés en secteurs dits « portes fermées », ou en quartier d’isolement, rencontrent d’énormes difficultés d’accès aux catalogues.

Lire en cellule, mission impossible.

tv prison

De toute façon, l’administration est rarement encline à laisser longuement les détenus hors de leur cellule. Or il est difficile, voire impossible, d’y lire. La promiscuité détruit l’intimité. Le bruit est envahissant. La télévision souvent allumée en permanence n’arrange rien. Jean-Louis Fabiani : « La télé est le grand sédatif de la prison, comme une sucette que l’on donne aux bébés pour qu’ils ne crient pas. »

cellule

L’éclairage est souvent catastrophique. Le rapport 2013 de Jean-Marie Delarue pointe largement la mauvaise luminosité des cellules. Les fenêtres sont obstruées par des caillebotis ou des barreaux. Beaucoup sont situées en hauteur.  De quoi développer de nombreuses pathologies de la vue.
Résultat ? « Lorsque les occupants ne restent pas dans la pénombre, à dormir ou regarder la télévision, la lumière électrique est allumée toute la journée. (…) (Elle) suffit rarement à un éclairage satisfaisant », explique le rapport. Les ampoules sont recouvertes de plastique. Leur puissance est souvent trop faible. Les détenus doivent alors acheter des ampoules supplémentaires et des multiprises pour les brancher. Nouveau coût.

Un monde à part.

Catherine, bibliothécaire bénévole, raconte: « J’ai beaucoup de collègues qui ont jeté l’éponge. Ils ne se rendaient pas compte que la bibliothèque de prison est une bibliothèque très particulière. » C’est avant tout un lieu de passage. Un moyen de prolonger le temps hors de la cellule. On y vient plus pour être tranquille ou socialisé que pour réellement lire. « Parmi mes 20% de visiteurs, j’avais une moitié de lecteurs fidèles et une autre moitié qui venait juste discuter », se souvient Christophe de la Condamine.

 

prison sport

En prison, les lecteurs sont une minorité. Jean-Louis Fabiani : « Beaucoup ne voient pas ce que cela pourrait leur apporter. Ils préfèrent les activités physiques, pour résister à la violence entre détenus. Ensuite il s’agit d’une population dont les caractéristiques sociales et scolaires sont particulières. »

Selon le ministère de la Justice, le taux d’illettrisme de la population carcérale est de presque 11%, un pourcentage supérieur de quatre points à la moyenne nationale. Il faut ajouter que beaucoup de détenus, sans être analphabètes ou illettrés, lisent mal, donc peu. Sans compter les détenus étrangers qui ne lisent pas le français, et ne se voient pas proposer de livres écrits dans leur langue. Jean-Louis Fabiani résume: « On trouve en prison beaucoup de gens déstructurés qui ont du mal à revenir à cet acte intime de lire. » Marie Sengel, animatrice culturelle, déclare dans le documentaire « Lire & écrire en prison » que certains prisonniers « ont peur des livres. »

Lire, certes, mais lire quoi ?

Quant aux rares lecteurs, ils font face à une offre bien souvent inadaptée. Jean-Louis Fabiani : « Les bibliothécaires aimeraient bien les intéresser à une littérature classique que même les gens de l’extérieur ne lisent pas. Il faut d’abord se fonder sur la demande des détenus, pour ensuite aller au-delà. Ces prisonniers ont des exigences bien spécifiques. Ils lisent beaucoup d’ouvrages qui les font réfléchir sur l’expérience de la détention. Des récits de milieux clos. Egalement des ouvrages de grands truands, des biographies de commissaires, souvent en rapport avec leur cas. »

prisonnier2Ils lisent également beaucoup de textes juridiques, voire… le Code pénal. « Ils sont souvent obsédés par leur affaire. C’est leur univers de référence. C’est autour d’elle qu’ils centrent leur lecture, affirme Jean-Louis Fabiani. Du coup, celle-ci devient souvent uniquement utilitaire, pour discuter avec leurs avocats par exemple. »

Ces textes juridiques difficiles sont un vrai défi pour nombre de prisonniers. De plus, le rapport du Contrôleur général montre que la qualité de l’offre est, ici aussi, précaire. Aucune prescription n’organise le dépôt des circulaires administratives pénitentiaires. Les Codes sont souvent anciens. Leur renouvellement n’est pas imposé. On touche pourtant ici à des informations vitales.

« Réunir des détenus dans un lieu, les gardiens n'aiment pas ça. »

« La méfiance du personnel carcéral à l’égard de la lecture est très grande. Ils voient cela comme quelque chose de subversif », regrette Jean-Louis Fabiani, qui détaille : « Pour de nombreux surveillants, les détenus viennent avant tout dans la bibliothèque pour faire des deals et conspirer. A chaque fois que j’arrivais dans une prison, j’avais droit au même briefing du personnel, aux mêmes anecdotes de bouquins ayant servi à dissimuler des objets. Ils me disaient que, de toute façon, les détenus ne faisaient qu’arracher des pages pour se rouler des joints. Ils me demandaient aussi : ‘Et pour notre culture à nous, que fait l’Etat ?’ La bibliothèque est un lieu de dialogue et la prison n’est pas faite pour cela. »

Des tensions surviennent parfois entre les intervenants extérieurs et le personnel pénitentiaire. Une bibliothécaire, qui a demandé à rester anonyme, raconte qu’elle souhaitait conserver des relations avec un détenu qui avait changé de prison. L’administration a refusé : pas de contact proche, même avec un prisonnier transféré. Elle a donc démissionné :  « Réunir des détenus dans un lieu, les surveillants n’aiment pas ça. Et puis, nous les bibliothécaires, on est considéré comme des intrus. Aujourd’hui plus personne ne se rend dans la prison pour continuer mon travail. Personne ne veut assumer un métier qui n’est pas reconnu comme une nécessité, voire qui est franchement méprisé. Ce n’est pas facile de rentrer en prison quand on est honnête. »

Moins amer, Jean-Louis Fabiani reconnaît qu’au cours de son enquête, les relations avec les administrations n’ont pas toujours été très cordiales. Ce qui vient de l’extérieur est souvent suspect. La relation entre les professionnels de bibliothèque et les directions pénitentiaires « est à approfondir », estimait « le Bulletin des Bibliothèques Françaises » en septembre 2002. Voilà une expression policée.

« On ne va pas leur offrir un quatre-étoiles. »

Il y a pourtant tant à faire. La lecture en prison doit faire partie d’un projet global, autour des cours, des ateliers d’écritures... « Il faut une vraie politique du livre, couplée avec une vraie pédagogie du numérique », plaide Jean-Louis Fabiani. Reste que la culture en prison est souvent considérée comme un luxe. La priorité, c’est la sécurité. « L’idée répandue, c’est : ‘On ne va tout de même pas leur offrir un quatre-étoiles’. Quand on voit les prisons d’aujourd’hui, on se rend compte à quel point cette façon d’aborder le problème est absurde », estime Jean-Louis Fabiani.

la grande évasion

Au Brésil, on organise des remises de peine contre des fiches de lecture. Sans aller jusque-là, le «Bulletin officiel» du ministère de la Culture, en mai 2012, lançait des pistes intéressantes : ateliers de lecture animés par des comédiens, écoutes de livres audio, rencontres avec des professionnels du livre, éditions d’ouvrages, organisations de comités de lecture et de prix, participations aux Salons du Livre… Ces animations apparaissent comme indispensables pour susciter l’envie de lire.

livre avenirDes associations prennent le relais, même si, regrette Olwen Lesourd, animateur de « Lire c’est Vivre », « il n’y en a pas tant que ça. » La maison d’arrêt de Rochefort a lancé un journal « pour et par les détenus ». A la prison de Réau, l’Université Paris-Diderot, en partenariat avec la région Ile-de-France, organise un prix littéraire où des détenus seront membres du jury. Ce prix, intitulé « Esprits Libres », parrainé par PPDA, départagera notamment durant l’été Erik Orsenna, Romain Puértolas, Lola Lafon ou Maylis de Kerangal.

L’enjeu reste une autre manière d’appréhender la prison. Comme l’éducation, la lecture favorise la réinsertion, la resocialisation et l’autonomie de la personne. Le rapport de Jean-Marie Delarue insiste largement sur le sujet. Jean-Louis Fabiani ne dit pas autre chose : « Le livre, la BD, les journaux : ça relie au monde extérieur. Derrière l’enjeu de la lecture, il y a l’idée centrale que la prison ne doit pas seulement punir, mais aussi permettre aux détenus d’avoir un futur, sous peine de les voir revenir indéfiniment derrière les mêmes barreaux. »

- Vincent Leconte 

*  *  *

Alors de chez moi, comme ça, je peux faire quoi ? ça par exemple...

lire c'est vivre

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Commentaires
L
Intéressant et très parlant le dessin. <br /> <br /> Pierre a joué une de ses pièces dans une prison. Public restreint, il a trouvé cela assez étrange mais positif.
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