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Canel
4 novembre 2017

~ Un loup pour l'homme, Brigitte Giraud

un loup

Flammarion, 23 août 2017, 245 p.

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Comme beaucoup de jeunes hommes de sa génération, Antoine doit tout quitter pour aller en Algérie. Nous sommes en 1960, il a une vingtaine d'années, sa femme attend leur premier bébé et lorsqu'elle a exprimé son refus de mettre cet enfant au monde seule, le médecin suisse consulté n'a pas voulu pratiquer une IVG : « Si toutes les femmes de soldats avaient avorté, la terre serait dépeuplée ». Et puis « l'Algérie, ce n'est pas la même chose qu'une guerre », assure-t-il.

De guerre, il n'est en effet pas question officiellement, on parle seulement de ‘maintenir l'ordre', de 'pacifier'. Antoine part, laissant à Lyon sa femme et le bébé à naître. Il a choisi d'être infirmier : « Il n'était pas d'un tempérament guerrier, il préférait soigner ».
En effet, on ne lui demande pas de prendre les armes. Il travaille dans un hôpital de guerre, et est parfois envoyé sur le terrain pour soigner des blessés ou ramasser des cadavres. Mais ces corps abîmés ou détruits ne mentent pas et lui parlent bien d'une guerre sauvage, eux, pas d'un simple ‘maintien de l'ordre'. 

Superbe livre ! le plus beau que j'ai pu lire jusqu'alors sur cette guerre d'Algérie encore taboue, ‘faite' par mon père bien malgré lui, et dont il ne parlait pas, sauf pour justifier son aversion pour les oranges – je comprends pourquoi en suivant Antoine, cet homme doux, bienveillant et sensible, immergé dans l'horreur. 
« Il y a ceux qui auront fait l'Algérie, et les autres. Il y a ceux qui auront vu, et ceux qui auront perçu les événements en lisant les journaux, en écoutant les conversations sur le zinc, en se contentant de parcourir leurs lettres mensongères. »
« Les mois qu'ils viennent de vivre seront comme un secret, une expérience embarrassante qu'ils tairont instinctivement. […] Ils sont priés de ne plus y penser. De chasser le mauvais rêve d'un revers de la main. La guerre d'Algérie n'a pas eu lieu. »

On voit le flou dans lequel l'armée maintient ces appelés pour les apaiser ou les manipuler. Ils sont moins informés que leurs proches restés en France, la réalité leur apparaît progressivement - attentats en Algérie et à Paris, représailles, 'ratonnades', torture... 

Brigitte Giraud évoque joliment l'amitié, les confidences, l'amour, les lâchetés, les remords, le désespoir et l'autodestruction. Les détails du quotidien et les sentiments plus ou moins avouables donnent au récit une grande justesse : la jalousie envers les chanceux restés en France, le besoin soudain d'un fils d'échanger avec son père, parce que lui aussi a connu la guerre ; les lettres qu'on envoie, dans lesquelles on ne dit pas tout, où l'on rassure, et celles qu'on reçoit : « Le bonheur devant la phrase d'une mère, qui pour la première fois laisse deviner son amour, et à qui en retour ils tentent d'exprimer, sans trop s'épancher, l'attachement qu'ils n'ont jamais eu l'occasion de nommer. »

Une lecture à partager, notamment avec nos grands enfants. Contrairement aux deux ou trois précédentes, leur génération et celle de leur père ont été jusqu'alors épargnées par la mobilisation de civils. Une chance inouïe... 

■  L'écriture et la sensibilité de Brigitte Giraud m'avaient déjà beaucoup touchée dans Nico et Une année étrangère (autres thèmes, autres blessures).

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agenda2

01 > 03 nov.

Merci à PriceMinister et à Dimitri pour ces Matchs de la Rentrée Littéraire ! #MRL17

mrlpm

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Des enfants à Alger le 19 mars 1962, jour du cessez-le-feu. (source : Slate)

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Serge Reggiani lit 'Le dormeur du Val' (Arthur Rimbaud, 1870) et chante 
'Le déserteur' (Boris Vian & Harold B. Berg, écrite en 1954, pendant la guerre d'Indochine, et censurée)

Monsieur le Président / Je vous fais une lettre / Que vous lirez peut-être / Si vous avez le temps 
Je viens de recevoir / Mes papiers militaires / Pour partir à la guerre / Avant mercredi soir
Monsieur le Président / Je ne veux pas la faire / 
Je ne suis pas sur terre / Pour tuer des pauvres gens
C'est pas pour vous fâcher /Il faut que je vous dise / Ma décision est prise /Je m'en vais déserter
Depuis que je suis né / J'ai vu mourir mon père / J'ai vu partir mes frères / Et pleurer mes enfants
Ma mère a tant souffert / Elle est dedans sa tombe / Et se moque des bombes / Et se moque des vers
Quand j'étais prisonnier / On m'a volé ma femme / On m'a volé mon âme / Et tout mon cher passé
Demain de bon matin / Je fermerai ma porte / Au nez des années mortes / J'irai sur les chemins
Je mendierai ma vie / Sur les routes de France / De Bretagne en Provence / Et je dirai aux gens :
Refusez d'obéir / Refusez de la faire / N'allez pas à la guerre / Refusez de partir
S'il faut donner son sang / Allez donner le vôtre / Vous êtes bon apôtre / Monsieur le Président
Si vous me poursuivez / Prévenez vos gendarmes / Que je n'aurai pas d'arme / Et qu'ils pourront tirer.

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Commentaires
S
Mon père aussi a "fait" la guerre d'Algérie (contre son gré également) et lui c'est du melon qu'il ne mange jamais "j'en ai assez mangé en Algérie".
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A
Heureuse de lire que tu as aimé ce livre !! J'aime beaucoup ta lecture illustrée ;)
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M
Ha sans doute mon prochain titre de la RL !
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Z
je l'ai réservé à la bib
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G
Intéressée mais comme je sors de 'l'art de perdre" d'Alice Zeniter sur les harkis, je vais attendre un peu
Répondre
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