~ La Déesse des petites victoires, Yannick Grannec
BRILLANT, INSTRUCTIF, EMOUVANT ET DROLE
Princeton, 1980. Anna, documentaliste de vingt-huit ans, doit rassembler pour l'IAS les archives de Kurt Gödel*, mathématicien/logicien de génie du XXe siècle. Elle rend visite à Adèle, sa veuve, dans une maison de retraite pour accéder à ces écrits. L'affectif prend vite le pas sur l'intérêt professionnel, même si la vieille femme a la dent dure, la repartie mordante, l'agression rapide, et ne ménage pas Anna. Elle souffle le chaud et le froid à merveille, alternant tendresse, ironie, franchise brutale, méchanceté fatiguée - ce qui donne lieu entre elles à des échanges percutants et jubilatoires pour le lecteur...
Autrichienne émigrée aux Etats-Unis, Adèle a désormais soixante-dix neuf ans. Elle a côtoyé les 'grands' intellectuels du XXe siècle originaires de la mitteleuropa - et désormais américains : Einstein, Thomas Mann, Oppenheimer... Elle dévoile ses souvenirs, sa vie éreintante et frustrante auprès d'un homme atrocement égoïste, rongé par une psychose paranoïaque... donc absolument invivable. Elle évoque aussi avec tendresse leur amitié avec Albert Einstein, les joutes verbales interminables entre les intellectuels qu'ils reçoivent, et sa propre manière de ne pas épargner son mari par des répliques cinglantes devant leurs invités.
Fabuleux roman-doc ! Tout est fascinant : les personnages (ah, Adèle !), les dialogues entre les deux femmes dans la maison de retraite, les réflexions sur le vieillissement, le couple, la vie, la maladie de l'époux. Mais aussi la richesse documentaire de cet ouvrage : historique (émergence et ascension du nazisme en Europe, fuite des cerveaux aux USA, maccarthysme contre les intellectuels...) et scientifique (mathématiques, logique, philosophie et physique...).
Roman érudit, donc, mais aussi plein d'humanité et d'humour. J'avoue ne pas avoir lu toutes les notes en fin d'ouvrage, et avoir parfois décroché lors de certaines discussions scientifiques de plus en plus ardues ! L'auteur fait le point en postface sur la part de fiction dans cette 'biographie'...
* Kurt Gödel, mathématicien, dont Einstein disait : "Je ne vais à mon bureau que pour avoir le privilège de rentrer à pied avec Kurt Gödel."
Plein de citations ici, sur Babelio, et j'ai coché encore plus de passages !
Aproposdelivres, Keisha ont beaucoup aimé aussi.
17/20 - 14 au 18 novembre
La Déesse des petites victoires, Yannick Grannec, Editions Anne Carrière, 23 août 2012, 468 p.
lot 10 et 11/2012 - roman (3/3)
- Gödel et Einstein (source image) -