~ Les trois lumières, Claire Keegan
La tendresse et l'attention parentales ? Cette petite fille de sept-huit ans ne connaît visiblement pas. Aînée d'une famille nombreuse irlandaise, elle est expédiée à la campagne chez un couple qui lui est inconnu, sa mère s'apprêtant à accoucher du dernier bébé. La fillette craintive est vite rassurée par de l'affection, beaucoup de tact et de respect, un formidable amour sans grandes effusions mais doucement enveloppant, des petits riens qui lui étaient jusqu'alors étrangers (surnoms affectueux, remerciements et félicitations gratifiants lorsqu'elle aide)...
Essayez de bloquer 1h30 pour dévorer/savourer ce court récit d'une traite, afin de vous sentir accueilli chaleureusement vous aussi chez ce couple adorable, et de bien vous immerger dans cette ferme douillette parfumée à la cuisson de confiture de rhubarbe.
Après deux échecs avec cette maison d'édition (La mer Noire et un roman à paraître à la rentrée), j'envisageais de l'éviter soigneusement. Ouf, la minceur de Les trois lumières m'a incitée à l'emprunter à la médiathèque, et je m'en réjouis.
Une pépite !
Mélopée, Clara, Leiloona, Maeve, Krol, Mr également sous le charme.
17/20 - 10 juillet, 1h30 non-stop
Les trois lumières, Claire Keegan, traduit de l'anglais (Irlande) par Jacqueline Odin, Sabine Wespieser, avril 2011, 108 p.
Extraits :
"Pour ma mère, le travail est sans fin : nous, la fabrication du beurre, les repas, la vaisselle, nous lever et nous préparer pour la messe et l'école, sevrer les veaux, engager les ouvriers pour labourer et herser les champs, faire durer l'argent et régler le réveil. Mais cette maison est différente. Ici, il y a la possibilité, et le temps de réfléchir. Il y a peut-être même de l'argent à dépenser." (p. 20)
"[Monsieur] Kinsella prend ma main dans la sienne. Dès qu'il la prend, je me rends compte que mon père ne m'a absolument jamais tenu la main, et une partie de moi voudrait que Kinsella me lâche pour que je n'aie pas à éprouver cette sensation. C'est une sensation pénible mais progressivement je m'apaise et ne me préoccupe plus de la différence entre ma vie à la maison et la vie que j'ai ici." (p. 72)
"Tu n'es pas toujours obligée de dire quelque chose, reprend-il. Pense que la parole n'est une nécessité en aucune circonstance. Nombre de gens ont beaucoup perdu pour la seule raison qu'ils ont manqué une belle occasion de se taire." (p. 75)
"Ah, les femmes ont presque toujours raison quand même, dit-il. Sais-tu pour quoi les femmes ont un don ? (...) Les éventualités. Une vraie femme regarde loin dans l'avenir et devine ce qui arrive avant qu'un homme flaire quoi que ce soit." (p. 77)
"Au début, je n'arrivais pas à déchiffrer certains mots compliqués mais Kinsella plaçait son doigt sous chacun d'eux, patiemment, jusqu'à ce que je les devine, puis je l'ai fait toute seule jusqu'au jour où je n'ai plus eu besoin de deviner, et où j'ai continué ma lecture. C'était comme apprendre à faire du vélo : j'ai senti le mouvement, la liberté d'aller à des endroits où je n'aurais pas pu aller avant, et c'était facile." (p. 85)